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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 22:43

Nous publions ici deux témoignages relatifs à ce drame, qui rappelle l'assassinat des moines de Tibbhirine dont l'interprétation puissante donnée dans le film "Des Hommes et des Dieux" fera que celui-ci, largement diffusé à la demande remarquable du public, devrait être couronné aux prochains Césars. 

Juste en raison de leur intérêt et pour démontrer qu'une fois de plus les médias français, avec leur vision étriquée des pays du Maghreb, ont rapporté cette affaire et ses suites n'importe comment .

Nous avons choisi de les publier intégralement car il nous paraît impossible de les "caviarder" honnêtement quelque part sous couvert d'un laïcisme déplacé. Notamment les propos de l'Archevêque de Tunis, dont la teneur, par définition respectable en tant qu'émanant d'une personnalité religieuse, ne saurait être restituée honnêtement que dans leur intégralité.

Ceci en assumant correctement comme il se doit notre laïcité. C'est donc dans le strict respect laïc des idées, des origines et des croyances et dans un souci de respect du pluralisme que nous rapportons ces témoignages. 

Nous publions surtout ces lettres pour témoigner que notre mouvement, le MDO qui est de tradition laïque, progressiste et social-libérale, est le seul en ce moment à même de communiquer en profondeur et de manière respectueuse avec les membres de la communauté ovilloise d'origine saharienne ou sub-saharienne et/ou de religion musulmane.

Tous les autres mouvements politiques, sous couvert d'une laïcité mal assumée ou d'une démarche nationalisto-xénophobe, en sont strictement incapables à l'heure actuelle. Sauf nous, la preuve. 


A tous, je veux dire ce qui suit.

Les fractures du pays s’additionnent : la 1e épouse de Ben Ali et le clan des Mabrouk en face de la 2e épouse et le clan de Trabelsi ; le syndicat en face du parti ; les habitants du sud en face des Sahéliens (région de Sousse-Monastir), toujours au pouvoir ; la population rurale en face de la classe moyenne urbaine ; les jeunes diplômés chômeurs en face de la vieille génération de l’indépendance en place ; l’armée en face des polices ; les entreprises familiales patriarcales en face des usines modernes ; les laïcs face aux islamistes ...

Les premiers êtres humains ont été des migrants : ils progressaient d’un kilomètre par an à partir de leur lieu d’origine en Afrique. La migration est une des bases du peuplement et de l’activité des continents et des pays. Du temps de Ben Ali, c’était un sujet tabou. Les livres et les films qui osaient en parler étaient rares. Pour plaire aux Européens, Ben Ali menait bonne garde à ses frontières sans jamais réussir à arrêter le mouvement. Les télévisons occidentales présentent une image de l’existence qui séduit les Maghrébins : démocratie parlementaire, liberté d’expression, union européenne avec monnaie unique, femme émancipée, etc. En outre, les émigrés (500 000 Tunisiens vivent en France) qui reviennent pour les fêtes ou les vacances amènent avec eux du matériel de quoi faire envie à n’importe quel pauvre. Ce qui se passe aujourd’hui fait partie d’un ensemble de faits découlant directement du désir de vivre mieux, de l’atmosphère de liberté et du manque de contrôle des forces de sécurité. Chacun croit qu’il peut faire ce qu’il veut. En outre, parmi ces migrants venant de Tunisie, se trouvent de nombreux subsahariens qui profitent de l’occasion, ainsi que d’anciens policiers et des prisonniers évadés. Les passeurs et les capitaines de chalutiers y trouvent leur compte : les 130km séparant la Tunisie de l’île de Lampedusa sont payés 1000 € (je rappelle que le Smig en Tunisie est de 140€).

Ceci est le le contexte. Voilà maintenant les faits.

Le jeudi 16, le P. Marek, salésien de 34 ans, économe de l'école de Manouba, est parti faire des courses. Son absence au repas de midi est habituelle. Le soir, les confrères ont pensé qu'il était fatigué et l'ont laissé dormir. Le vendredi matin, ils se sont mis à le chercher, pour enfin le trouver dans le garage, crâne fracassé d'un coup de marteau et égorgé, les clefs de la maison à côté de lui, rien n'a été volé. On ne sait pas encore par qui : ou bien les milices de Ben Ali qui ne veulent pas désarmer, ou bien les islamistes qui ont manifesté voici trois jours devant la synagogue et qui ont voulu brûler le quartier réservé dans la médina ? La réprobation est unanime, l'évêque bouleversé, les témoignages de sympathie nombreux et sincères. Ce ne peut être qu'un cas isolé. Des Tunisiens sur Facebook invitent à un rassemblement des croyants des trois religions monothéistes où chacun prierait à sa façon, mais en même temps et dans le même lieu.

Entre temps, les laïcs manifestent avenue Bourguiba, ce samedi à 13h. [NDLR : Seul cette manifestation sera couverte par les médias français.] 

Mais pour qui l'innocent paie-t-il ?

(anonyme)


Chers tous et toutes, 

Nous ne finissons pas de vivre des événements (je laisse le mot sans adjectif). Maintenant c’est le P. Marek, salésien de 34 ans, en Tunisie depuis 2007 qui a été égorgé dans un dépôt de l’école des Salésiens de la Manouba.

Le Ministère de l’Intérieur vient de publier un communiqué comme quoi l’assassin était le menuisier de l’école. Les Pères salésiens affirment que l’assassin avait emprunté, lors du dernier Eid (il y a trois mois) 2.000 dinars tunisiens pour acheter du matériel pour son travail. Il semble qu’il a dépensé l’argent pour autre chose, le fournisseur refusait de lui donner un matériel non payé, et le P. Marek insistait pour avoir l’argent de l’école rendu. Pris de panique, et par peur d’être dévoilé, dit le communiqué du Ministère de l’intérieur, « l’assassin a surpris le prêtre en lui assénant des coups successifs très forts au moyen d’un outil contondant sur la nuque et le cou, ce qui a causé son décès. L’assassinat a été commis par crainte d’être découvert. ».

Dès qu’on aura terminé les formalités juridiques, on célèbrera une grande messe à la Cathédrale avant de le rapatrier en Pologne. Le jour et l’heure de la cérémonie seront publiés aussi.

Que dire ? Horreur, tristesse, indignation, révolte, préoccupation, peur, doute… tout est mélangé. Pourquoi a-t-on tué P. Marek ? Pour deux mille dinars ! On ose à peine le croire. Il y a certainement des détails que je ne sais pas. Par contre, il y a des choses que je sais :

- Je sais que P. Marek avait écrit, deux semaines avant son assassinat, à propos du peuple tunisien: « c’est une nation jeune, intelligente, incapable de violence (sic !), profondément bonne qui n’est pas capable de haïr ».

- Je sais qu’il venait d’écrire son premier livre sur la Tunisie où il dit entre autre : « pendant mon séjour en Tunisie, mon attitude envers mes frères musulmans a beaucoup évolué. Cette peur du terrorisme et de l’extrémisme a complètement disparu. Les Tunisiens sont tellement accueillants, amicaux et chaleureux. Ils m’apprennent cette attitude ».

- Je sais qu’il s’était proposé comme volontaire pour venir en Tunisie il y a quatre ans, alors qu’il était à peine ordonné prêtre.

- Je sais qu’il avait demandé de l’argent de partout pour aménager de nouveaux locaux pour l’école qu’il aimait tant et dont il était l’économe.

Je m’imagine en face de son assassin pour lui poser quelques questions : Pourquoi as-tu vraiment tué P. Marek ? Et pourquoi de cette manière barbare ? Son jeune âge et son innocence ne t’ont inspiré aucun sentiment de pitié ? Ni son physique frêle ? Tu l’as assommé avec coups de marteau, cela ne suffisait-il pas ? Fallait-il vraiment l’égorger et le laisser baigner dans son sang ? Comment as-tu pu dormir après ? De quelle pâte es-tu fait ? Quelle religion professes-tu ? Es-tu de ceux qui croient en Dieu le Compatissant, le Miséricordieux, (Al Rahman Al Rahim ?) Comment conjugues-tu ton crime avec ta foi ?

Réponds à ces questions, tranquillise-nous, tranquillise notre cœur de père et de frères… Après, je te promets la pardon. Tu auras d’abord à le demander de Dieu, ensuite, tu auras celui de l’Église catholique de Tunisie.

« Si le grain tombé en terre ne meurt…. » Il est tombé, il est mort, et à l’exemple du Christ auquel P. Marek s’était consacré, il a porté des fruits. Tous les messages de solidarité, toutes les scènes de sympathie, les fleurs déposées à la porte de la Cathédrale, les tunisiens et tunisiennes qui ont manifesté devant la Cathédrale avec des slogans « Marek, pardon ! », les jeunes tunisiens venus à la cathédrale dimanche 20, avec des fleurs, les larmes aux yeux… « Nous ne l’avons pas tué, disaient-ils, ce n’est pas la Tunisie… Pardonnez-nous ! » ; et ils sont partis en embrassant les sœurs.

Les réactions officielles sont du même ordre, le Premier Ministre, le Ministère de l’Intérieur, des Affaires Étrangères, du Travail, de l’Éducation, des Affaires religieuses, du Tourisme ; les Ambassadeurs arabes et étrangers, même le parti islamiste Al Nahda…. Fallait-il le meurtre d’un prêtre pour nous rendre compte de toute cette sympathie et de cette affection ? Le prix est très élevé. Nous apprécions énormément tous ces gestes d’amitiés, mais elles ne valent pas une goutte du sang de notre Marek.

Et maintenant ? Eh bien, nous allons de l’avant. L’heure n’est pas à la panique, elle est à la foi, à la patience, à la précaution. Partir ? Pas question, les temps de difficulté ne sont pas des temps de fuite. Je le dis en mon nom personnel d’abord, et je pense pouvoir le dire au nom du tout le personnel religieux de l’Église de Tunisie et au nom des chrétiens présents dans le pays. Je le dis aussi pour nos frères musulmans et juifs. Nous restons dans ce pays qui nous accueille, qui nous aime et que nous aimons. Nous restons aussi pour vous, car nous voulons nous enrichir de votre présence et de votre différence, et nous vous proposons aussi les valeurs auxquelles nous croyons et que nous essayons de vivre malgré nos faiblesses, des valeurs qui peuvent vous apporter un supplément de foi et d’espérance et de confiance.

La vie est plus forte que la mort, l’AMOUR aussi.

+ Maroun Lahham,  Archevêque de Tunis.

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